Carnet sens : rafistoler le recueillement

Lundi 17 mai 2021

Longue conversation avec ma grande sœur hier au téléphone. Elle est à la recherche du bon dispositif, de la bonne thérapie. Elle m’a parlé d’un truc en ligne qui propose une cartographie spirituelle en fonction du moment de la naissance. Je lui ai dit que je fuyais ces recherches d’illumination, de transcendance. Elle m’a écouté. À propos du livre que je suis en train de lire, M. m’a dit qu’il y existait des vidéos de cet auteur. Je lui ai dit que je préférais prendre le temps pour méditer.

Je me sens bien chanceux d’être le praticien d’un dispositif de réflexion lente et à portée de main. L’écriture manuscrite sur un simple carnet me semble bien adaptée pour penser ce moment non de la « naissance », mais du « sens » (même si ce carnet « sens », me fait probablement toucher du doigt ce moment naissant de la naissance). 

À propos de naissance, ma sœur M. me rappelle souvent à nos filiations communes. Elle me disait hier qu’E. est souvent en lien avec notre mère et même notre grand-mère paternelle. Au point où j’en suis dans l’avancée de ce carnet, je peux écrire que ce n’est pas très étonnant : les deux s’appréciaient beaucoup de leur vivant. De mon côté, je suis sensible aux filiations multiples. Celles avec l’oncle de Nanou me paraissent aussi concrètes que celle avec ma mère, par exemple. Je connais, pourtant, très peu cet oncle.  

Plus tard,

 Je viens d’écrire deux pages d’écriture automatique sur mon carnet. Ce fut un premier essai. Ce fut assez facile : je suis simplement entré dans une petite transe. Je viens de relire ces notes. C’est assez illisible et désagréable à lire, mais j’ai tout de même aimé souligner ces phrases : « rien n’est plus divin que le cercle de l’amour » ; « tu es en pension au moins quelques jours » ; «  dans les étoiles que tu nourris » ; « ça sera bientôt » ; « soit rieur ».

Mardi 18 mai 2021

Rêve de ma grand-mère maternelle : elle vit dans l’ancienne habitation de ma grand-mère paternelle. Un livreur de chocolat arrive. Elle me demande si je veux être là pour choisir le produit. Je réponds oui, mais je le regrette aussitôt. Plus tard et plus loin, il y a au bord de la route des chocolats exposés qui représentent des « saints » aux noms « rustiques » comme saint madelon-didon, saint mich-mich.

Jeudi 20 mai 2021

Grosse journée de jardinage et de marche nordique. Ce matin, nez un peu irrité (ai remangé galette de riz). Ce s oir, un peu frileux.

Suite de la lecture de Sandrine Muller Bohard : l’énergie invisible du corps, (Édition du Dauphin, 2021). À la page 158, l’auteure liste ses conseils : apprendre à être attentif à son instinct, à ce que nous sentons, aux vibrations des autres, des lieux, aux pressentiments.

Page 260, cette phrase : « malheureusement le mental, mais souvent sous couvert ce premier ressenti pour le rationaliser. La sensation première disparait au profit de l’action. La prochaine fois, notez ce ressenti et observez. Cela va finir par se reproduire. »

Le mental ici équivaut pour l’auteur à l’action (peut-être veut-elle dire « l’action rationnelle ? »).

Page 261 : deux odeurs (celle du corps et celle de l’âme). L’auteur dit qu’elle a le don des couleurs et qu’elle perd la vision, ce qui l’incite à ouvrir son troisième œil (il fallait juste y penser).

Elle parle de l’exercice de la boule violette sur le troisième œil. Cette phrase : « plus vous savez quoi voir, plus votre cerveau sera sensible à cette perception… bref il faut habituer sa perception à percevoir les énergies subtiles même si au début cela parait inhabituel.

Au niveau du croisement entre la tête et l’épaule il y a une zone d’aura plus dense et donc plus facile à distinguer.

Page 273 : l’exercice de pendule avec le corps. Le mental dit quelque chose puis ensuite dans un moment de flottement, ce qu’elle appelle « l’ange gardien » nous pousse en avant ou en arrière. Il convient de changer de code de temps en temps. Face à ma boite aux lettres, je fais parfois le pendule avec mon corps. À la question : « y a-t-il du courrier ? » j’utilisais il y a quelques années le code du basculement « en avant » pour la réponse « oui ». Je préfère à présent le code inverse. Cela permet de me redresser lorsque la réponse est positive (comme la boite aux lettres, d’ailleurs, qui ne penche plus sur son axe depuis que je l’ai réparé cet hiver)

Vendredi 21 mai 2021 : j’ai fini l’ouvrage hier presque endormi. Un protocole revient souvent dans les dernières pages : premièrement, avoir une intention, deuxièmement faire une grande inspiration, troisièmement s’enfoncer dans le sol.

Lecture d’un petit livre sur des pierres de soins de Catérina Zita (First éditions, 2019). Les pierres sont présentées comme l’ADN de notre planète. Elles renferment sa sagesse et sa connaissance. Elles se remplissent de son énergie. Comment les utiliser ? On peut les porter en bijoux, dans la poche dans une chaussette, sous l’oreiller, les boire en élixir ou respirer leur vapeur. Lorsque l’on se procure une pierre, il convient de les purifier sous l’eau avec la fumée de sauge et de les recharger au soleil le matin (pas plus d’une heure) ou encore une nuit de pleine lune.

En feuilletant le livre, une pierre s’impose à moi : la Péridot. J’aime sa couleur et sa forme même si je ne vois que sa photo. Des phrases cliniques sont liées : se faire pardonner soi-même, psoriasis, chakra du cœur. Sur Internet, il est écrit que les noces de péridot correspondent au 16e anniversaire de mariage. C’est exactement le cas pour nous.

Je dors assis dans le livre de Muller que je viens de finir (avant d’avoir parcouru rapidement celui sur les pierres). J’ouvre au hasard pour voir le passage qui fut le plus intéressant : je tombe sur : « coup de foudre amoureux » et au moment où je retranscris ces notes, un coup de tonnerre se fait entendre au-dehors.

Vendredi 21 mai 2021

Réveil en meilleure forme. Ai aimé penser, au réveil, à cette pierre verte vue dans un livre hier soir. Cela m’a réconforté. Cette nuit, j’ai rêvé que je participais à un stage sur l’énergie. Je devais faire une boule d’énergie et modifier une plante. Au départ je poussais ou attirait les feuilles de la plante à distance. Le professeur m’a dit « non, pas comme ça, c’est trop voyant ! ». j’ai ensuite fait vriller la plante sur son axe. Plus subtile, moins voyant. C’est mieux d’après ce prof.

Dans un autre rêve, mon pull a de grosses taches de crottes d’oiseaux au niveau du foie. Est-ce que je mange trop d’œufs de ce temps ?

Lecture de l’horoscope du petit courrier (Taureau) : « vous n’avez pas conscience du tournant que votre esprit dirige en douce… Ces changements ne seront pas toujours faciles à vivre. Protégez-vous ! ». Cela me parle autant que l’exercice d’écriture automatique il y a quelques jours.

J’ai reçu un livre de Bruno Latour : sur le culte moderne des dieux faitiches (empêcheurs de penser en rond, 2009). Je viens de parcourir l’introduction : l’auteur invite son lecteur à la suspension de deux notions réflexe chez les modernes : « la critique de la croyance et la croyance dans la critique ». J’ai hâte de commenter ce livre dans ce carnet sens.

Beaucoup d’activités physiques ces derniers jours. Au moins six heures de travail physique aujourd’hui. Transpiration. Le soir, repas plus allégé. Depuis le début du mois, nous ne mangeons plus de féculents le soir. Saladier de salade et fromage de chèvre pour moi.

Ai travaillé jusqu’à trois heures du matin mercredi (« reprise » d’un devoir d’un enfant). Jeudi (hier) aller-retour en Bretagne, bu du café pour tenir le coup sur la route, ce qui m’a empêché de dormir cette nuit

Je commence le livre de Latour. Page 12 « nous sommes les fils de nos œuvres » ce terme rejoint ce que disait la guérisseuse dont j’ai lu le petit livre il y a quelques jours. À propos des formes de pensée que nous produisons et qui nourrissent nos chakras. Pour la guérisseuse, cela va de soi. Pour Latour aussi, il précise, simplement, que la fabrication du fétiche nous fabrique en retour.

Pour Latour, l’agnosticisme consiste à ne plus croire à la notion de croyance. Page 20 « est moderne celui qui croit que les autres croient ». L’agnostique se demande, lui, pourquoi les modernes ont tant besoin de croyance pour entrer en relation avec les autres et pourquoi ils ont autant besoin de demander aux « autres » de trancher entre le moment de la fabrication et celui de la croyance.

Dimanche 23 mai 2021

Page 21, une exaspération typique des modernes : « vous ne pouvez pas me dire à la fois que vous avez fabriqué vos fétiches et que ce sont de vraies divinités. Il vous faut choisir : c’est l’un ou l’autre ! » Je repense à la remarque d’Yves rapporté plus haut « l’important, c’est que vous y croyez ». C’était une façon de me dire : le fétiche, le rituel, le magnétiseur, ce n’est pas important. C’est une façon de me dire surtout : les souvenirs que tu as fabriqués, ça ne compte pas. L’objet de ton souvenir, de ton récit, cela n’existe pas. Seul existe ce qui est dans ta tête.

Le « moderne », c’est celui qui prend la statue pour la représentation d’un dieu : il voit les icônes. Le « primitif », c’est celui qui voit dans la statue, le dieu lui-même : il voit un fétiche, il le fait causer, parler (page 21). C’est à partir de lui que tout commence pour le second. C’est à partir de lui que tout s’arrête pour le premier. Il se fige sur la croyance de l’autre pour le comprendre. Le primitif (l’adepte) ne croit en la croyance ni pour comprendre les autres ni pour se comprendre lui-même (p.29).

j’ai bien senti cette différence lors de ma conversation avec Yves. Tandis qu’il utilisait ma croyance (en mon guérisseur) pour me comprendre, moi je croyais en ce guérisseur pour l’installer dans notre conversation, pour y ajouter du travers, du transversal, de la transe. Je le fabriquais dans cette conversation, pour y croire.

C’est bien cette conversation avec Yves qui m’a fait à nouveau penser à Jacques (ce guérisseur décédé). C’est bien l’installation de ce fétiche dans notre conversation qui m’a fait sentir sa présence extérieure puis son conseil de nous faire (Nanou et moi) vacciner.

P.31 : l’antifétichiste « transforme le créateur en créature » dans le sens où il fait passer celui qui « fait » au rang de celui qui « se fait berner ». Encore une fois, c’est précisément ce que j’ai ressenti lors de ma conversation avec Yves : il m’a regardé comme une créature (un objet presque non fabriqué) plutôt que comme le créateur (presque sujet) d’une fabrication qui me faisait.

P.33 un constat que j’aime lire, régulièrement, chez Latour : « l’acteur humain n’a fait qu’échanger une transcendance pour une autre ». ainsi “pour Durkheim (…) le social parait à peine moins opaque que la religion”. Page 34 : “Les « antifétichistes » pas plus que les “fétichistes” ne savent qui agit et qui se trompe sur l’origine de l’action, qui est maitre et qui est aliéné ou possédé” et plus avant sur cette même page « le monde sans fétiche se peuple d’autant d’aliens que le monde des fétiches. »

Je retrouve mes cogitations de 2019 autour de ma lecture d’un long chapitre de Latour sur le mode d’existence des métamorphoses. J’avais, à l’époque, bien senti l’utilité d’installer (d’assoir) ces aliens qui nous touchent sans, pour autant, nous viser directement (mon lieu de travail pédagogique, en ville, par exemple qui me, tel un fétiche, « fait faire » un travail qui bouscule ce que j’imagine faire lorsque je le prépare à la campagne). L’installation du site Internet « terragraphe » est pensée comme un dispositif qui permet d’installer différents terrains qui nous saisissent au moment même où l’on réussit à les saisir, c’est-à-dire au moment où on les fabrique. Un besoin de protection se fait sentir au moment où l’on découvre quelque chose. C’est ce que je ne dis pas assez aux étudiants que je rencontre ponctuellement en ville. Le journal permet d’installer des connaissances dans le flux d’une quotidienneté. Je comprends aussi que cette installation a pour fonction de se protéger d’elles. On les capte et les enferme aussitôt. On les « saisit » au sens double du terme. Mener une recherche sur le « pas toujours visible » me semblerait bien embarrassant (et même dangereux) sans ce petit carnet : je ne saurais pas où ranger, dans la maison, dans mes étagères, dans mon ordinateur les « aliens » que je fabrique. Je sens que ce n’est qu’un début. Les fétiches que je commence à installer dans ce carnet sont encore brouillés et troublés et mal dégrossis. À l’image du dessin (raté) de l’homme lumineux que j’ai esquissé sur mon carnet, je sens qu’il me faudra du temps pour décrire mes « apparitions » avec plus de finesse. 

P.36, il n’y a ni fétichisme ni antifétichisme. Mieux vaut reconnaitre, écrit Latour, « l’efficace de ces étranges déplaceurs d’action à laquelle nos vies sont intimement mêlées. »    

À la page 37, une phrase qui illustre bien ce que j’ai ressenti lors de ma conversation avec Yves : « les penseurs critiques triomphent deux fois de la naïveté consommée de l’acteur ordinaire : il voit le travail invisible que l’acteur projette sur les divinités qui le manipulent, mais il voit aussi les forces invisibles qui agitent l’acteur lorsqu’il croit manipuler librement ». J’ai évoqué dans ce carnet le triomphe d’Yves lorsqu’il a dénoncé ma naïveté vis-à-vis de mon guérisseur invisible. Je n’ai pas dit qu’il avait lors de cette même conversation, triomphé aussi de sa capacité à être lucide sur les invisibles forces du monde de l’argent des industries pharmaceutiques. Chapeau bas. Lors de cette courte conversation, l’ami a eu le mérite de m’infliger un joli strike (comme au bowling). Il a réussi à triompher à la fois sur ma crédulité et mon incrédulité vis-à-vis de l’invisible. Triomphe sur ma double figure (et quille) de soigné et d’agent économique se faisant berner ici (par un excès de croyance), et là (par un manque de croyance).

Je ne vais pas continuer à songer à Yves dans ce carnet. En fait, je me sers ici de lui pour éviter de me considérer, moi aussi, comme un moderne. Je ne suis pas le dernier à me servir tantôt de la subjectivité, tantôt de l’objectivité pour critiquer, tour à tour, les adeptes et les non-adeptes de mon entourage.

J’ai aussi cette capacité à utiliser ce que Latour nomme des objets-fées et des objets faits. Voici comment je résume les pages 38 à 42 (agrémentées de trois schémas) : les modernes critiquent deux croyances : celle des adeptes qui se croient « vides » et donc « fait » par des objets fétiches et celle des non-adeptes qui se croient « pleins » et donc entièrement faiseurs d’objets. Les modernes disent au premier que leur force vient d’eux (et non des fées) et au second que la force vient des faits (et non d’eux-mêmes).  

Une phrase de la page 42 résume le propos : « la pensée critique n’aura aucune difficulté à prétendre à la fois que l’acteur humain libre et autonome crée ses propres fétiches et qu’il est complètement défini par les déterminations objectives que relèvent les sciences exactes ou sociales. »

En fait (si j’ose dire), le propos repose sur l’ambigüité du mot « fait » qui peut dire « dans un même souffle ce que l’on a fabriqué et ce que personne n’a fabriqué » (p.47). Ce double sens occupe le débat entre les réalistes et les constructivistes. Un débat dont Pasteur se moquait tant il pouvait affirmer avoir construit (fabriqué), par exemple, le ferment lactique et dire à ses pairs qu’ils pouvaient l’observer (comme un fait) d’une manière impartiale.

En lisant ces pages, j’ai pensé à une note de recherche menée il y a treize ans sur le moment où l’on se sent dépassé. Je viens de la feuilleter. Elle contient des intuitions très denses que je l’impression d’avoir peu à peu déplié (depuis lors).

Je me sens, en tout cas, bien en phase avec cette idée que le moderne construit, lui aussi, ce qui le dépasse (p.43) qu’il est donc, comme déjà noté ici, saisi par les fétiches qu’il saisit. Latour va plus loin que ce que je n’osais écrire il y a treize ans dans ma « note » : il voit ces deux verbes « construire » et « dépasser » comme des synonymes. C’est cette synonymie entre les faits (construits) et les faits qui nous dépassent (les fétichistes) qui incite Latour à créer ce néologisme de « faitiche » (p.57).  

Page 50, une note de bas de page sur quatre attitudes qui guident les humanités et les sciences sociales face aux sciences exactes (herméneutique, scepticisme, irrationalisme, reconstruction rationnelle) m’a fait cogiter sur un succinct schéma qui complète ceux de Latour. Je viens de le numériser rapidement.

L’obligation de choisir entre les faits non fabriqués et fabriqués peut être avantageusement remplacée par l’obligation d’un accompagnant des faits faisant faire (par déviation, clinamen…).

Page 56, une note de bas de page qui me réjouit. Latour y critique la sociologie critique à la « Bourdieu » qui montre la « méconnaissance du travail de représentation et de la sagesse des représentés (…) L’antifetichiste est utilisé (naïvement ?) par le sociologue critique pour peindre l’incapacité des simples acteurs à voit la contradiction criante du fétichisme ! Aucun roi n’est plus nu que le sociologue critique qui se croit seul lucide dans un asile de fous ».

Avec mon stylo-bille, j’ai tiré un trait malencontreusement sur la page 53 du livre comme pour attirer mon attention sur un passage, comme, aussi, pour me rappeler à mon objet de recherche sur le pas toujours visible. Sous ce trait cette phrase : (…) passer à l’action sans jamais croire à la différence entre construction et recueillement, immanence et transcendance ».

Je me dis que le « recueillement » est une des pratiques qui prouve que l’on passe allègrement outre ce clivage entre immanence et transcendance. Ce recueillement n’est pas seulement une pratique du religieux cloitré. Elle aussi celle de l’ethnographe ou de tous les « recueilleurs » de données (tout autant cloitrés certainement).

Les modernes voient ce « recueillement » comme une affaire soit très technique, soit très religieuse. Il faut choisir. Où l’on se recueille en tant que sujet, où l’on recueille des objets. Cette séparation minutieuse et anxieuse des modernes entre ce qui se fait et les faits voilà le cœur de leur « croyance ». En contrepoint, « l’agnosticisme » passe par une pratique de sa « description anthropologique » (p.60).

Je retrouve cette idée (simondienne) que la technique ne peut s’exprimer qu’à mi-voix, clandestinement (p.59). Les modernes veulent voir une vraie pratique alors que celle-ci n’existe pas en pratique. (Ce qui existe ce sont des passes entre construction et réalité). Le recueillement technique (où ne se distingue pas le terrain du divin) est l’exemple de l’une de ces « passes ».

La lecture de cet auteur familier me replonge paradoxalement dans la séparation de mon recueillement. Je me replonge dans des cogitations qui me séparent de mon enquête sur les énergies sensibles. Mais je dois être précis. J’ai pensé butter les pommes de terre tout à l’heure, mais j’ai été pris dans la lecture de ce livre. Sentant, alors que j’écris ces lignes un début de mal de dos (dû au jardinage intense de ces derniers jours), je me dis que cette lecture vient de me sauver d’un tour de reins.

Plus tard,

La séparation entre le théorique et le pratique s’appuie sur la même croyance que la séparation entre le visible et l’invisible, le naturel et le surnaturel. Ces oppositions entre des entités statiques ne prennent pas en compte un geste que tout un chacun active : la passe (un peu comme au foot) ente la construction et l’autonomie (entre les faits fabriqués et les faits qui nous font). L’expérience de la « tenue » d’un journal de bord est l’un des exemples d’une passe où le « théorique » et le « pratique » se mêlent (et se tiennent) selon des mœurs peu académiques (des mœurs ont, précisément, institué une brisure dans cette « tenue ». Dans cet exemple, l’enjeu pour le diariste n’est pas de croire à son journal, mais de le tenir.

Latour donne, de son côté l’exemple d’un indien « moderne » qui incite des adeptes de son entourage à briser leurs statues fétiches. Or ces statues ne sont pas, pour ces adeptes, de purs objets de croyances : elles ne sont pas tant l’objet d’une croyance que d’une « tenue ».

P.65 : « il ne s’agit pas [pour ces adeptes] de pierre fétiche, mais de faitiche, de ces êtres décalés qui permettent de vivre c’est-à-dire de passer continuellement de la construction à l’autonomie sans jamais croire ni à l’une ni à l’autre. »

Rappel : Faitiche = fées autonomes + faits construits. Je me dis que chaque institution, chaque cathédrale, chaque livre tient ensemble l’illusion d’une autonomie et la faiblesse d’une construction. C’est paradoxalement cela leur force.

Lundi 24 mai 2021

Rêve : entretien d’embauche pour un poste de formateur. Je dénigre Piaget, puis ensuite, je dis que je suis psychologue le mercredi matin en institution, puis l’après-midi dans le privé. J’essaie ensuite de rentrer en transe pour montrer mes nouvelles compétences de médium. En vain. Je ne vois rien. Je me sens alors obligé de dire que j’ai menti à propos de mon job de psy.

Les fées sont là.

En m’inspirant du double déphasage évoqué par Simondon dans son MEOT, j’ai essayé de modéliser deux types de brisures de fétiches opérées par la distinction théorie/pratique. [Croquis, ici, rapidement transcrit sous une forme numérique]. La première brisure fait naitre une distinction entre le visible et l’invisible. La seconde brisure tend à rendre ce visible invisible et cet invisible, visible. Une ébauche qui me permet, entre autres, de penser l’invisibilité à la fois comme une fabrication et comme un fait.

J’ai essayé aussi de montrer comment la pratique se voit reléguée à un statut de « bricolage ». La passe [ce travail de médiation incessant entre les faits et les fées] est rendue « invisible à la théorie » [p.68].

Je me dis que le bavardage comme l’écriture quotidienne ne cesse d’interrompre le décryptage de l’invisible. Ces techniques permettent de l’évoquer à mi-mots : par refus de choisir celui-ci ou celui-là ? Par pudeur, par humilité ? 

Comment rafistoler le recueillement ? En pansant, en passant et en se passant des brisures ?

C’est, tout au contraire, l’insouciance qui motive les modernes briseurs de faitiches. La cassure offre tous les avantages de la critique et de la pratique et tous les avantages du passage de l’un à l’autre : elle déresponsabilise.

En médecine, on a pu créer une pratique qui se déconnecte de la théorie. On peut considérer que ce que mange un patient au quotidien n’a aucun lien avec les médicaments qu’on va lui prescrire. Dans le registre du spirituel, les modernes peuvent considérer que ce que je sens en « tant » que personne n’a aucune importance au regard de ce que la théologie ou la psychologie m’assène.

La brisure permet de créer cette idée [très théorique] que la pratique [par exemple énergétique, nutritionnelle] n’est qu’une pratique. Plus les gens sont « modernes », plus ils seront attirés par de forts dispositifs de raccommodage, ravaudage, rafistolage.  

Mercredi 26 mai 2021

Rêve : je dis à la doyenne du village que je vois les morts. Ils errent à leur occupation comme au temps où ils étaient vivants. Ensuite, rêve de Chloé [décédée il y a neuf ans]. Elle doit retourner au centre de formation où elle fut « mon » étudiante. Je lui dis que lui ait laissé une place de formatrice. Elle sourit à pleines dents. Un peu plus tard, elle rigole avec ma sœur A.

Jeudi 27 mai 2021

Des souvenirs d’enfance reviennent de plus en plus. Il me faudrait les noter.

BCB

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Je n’ai pas encore tout lu, mais je me lance, quitte à y revenir.
J’apprécie que tu mettes dans ton carnet sens certains de tes rêves. Rêves dont le sens souvent nous échappe au moins en partie. Dans le puzzle de notre vie psychique, il y a des clusters comme ça, des groupes de pièces dont on ne sait pas trop quoi faire ni où les mettre. Peut-être que ce que tu fais dans ce carnet c’est identifier de tels groupes de pièces quand ils se présentent et regarder si leur juxtaposition fait apparaitre un sens ou un autre. Il me semble me souvenir que tu es un adepte du tâtonnement méthodologique (mais je confonds peut-être). En tout cas, je crois que c’est ce que je fais avec mes journaux. Quand est-ce que le puzzle est terminé au moment de la mort ou à celui de l’illumination ? Je n’ai pas de réponse à cette question n’ayant atteint aucun de ces deux états. Et puis cette métaphore n’a peut-être pas tant de sens que ça…
Tu dis à ta sœur que tu fuis « ces recherches d’illumination, de transcendance. » Cela t’honore. John mon chef de danse, m’a dit une fois : « ceux qui recherchent leur illumination personnelle à la danse du soleil n’ont rien compris ». Dans le bouddhisme, le but final est l’illumination, mais on y préconise souvent d’oublier ce but, car en avoir des préconceptions et des attentes, en un mot : y être attaché est le meilleur moyen pour que « cela » se dérobe.
Quant à moi – mais là je réponds un peu à la question que tu me poses dans « Catlinite » – La mort précoce de plusieurs membres de ma famille m’a lancé dès l’adolescence dans une recherche d’illumination. D’abord à la manière de Rimbaud puis peu après, à la manière du bouddha. Quant à la « transe en danse » comme dit mon ami Guy, elle n’est pas reléguée uniquement à des hauteurs célestes, mais est devenue très concrète pour moi avec la danse du soleil.

Loïc

Salut Bertrand,
Je n’avais pas le temps d’écrire, alors je t’ai fait un commentaire sur mon dictaphone en juin. (Il y a bien longtemps, c’est d’ailleurs toi qui m’avait conseillé d’utiliser un dictaphone pour ma recherche et m’avait même indiqué un modèle. C’est devenu un instrument essentiel pour mes journaux et plus généralement de recueil de données, de pensées, d’interviews, de musique, etc. que je continue à utiliser). Je t’ai envoyé les fichiers audio pour te faire un feedback juste comme ça et tu as eu la gentillesse de trouver mes élucubrations sans suite intéressantes et de me les transcrire. J’ai fait quelques petites corrections mais ça reste du langage parlé un peu brut de décoffrage.

Emprunt bouddhique : les cinq skandhas
Donc, je continue ma lecture du texte carnet sens, rafistoler le recueillement de Bertrand. Il parle d’un bouquin, d’une certaine Sandrine Muller Bohard, l’énergie invisible du corps. Elle dit qu’il faut être « attentif à son instinct, ce que nous sentons, la vibration des autres, les pressentiments. Malheureusement le mental met souvent sous couvert ce premier ressenti pour le rationaliser ». Ça me fait penser à la théorie des cinq agrégats (ce sont des agrégats car chacun d’entre eux est composite et peut être décomposé) ou « skandhas » dans le Bouddhisme. Le Bouddhisme est une vraie tradition. C’est quelque chose qui existe depuis à peu près 450 ans avant Jésus-Christ, et donc, il y a vraiment eu le temps. Il y a eu un grand nombre de pages qui ont été écrits là-dessus. Cette théorie des cinq skandhas, pour un bouddhiste un peu lettré, elle est valable, car elle a été discutée, critiquée et éprouvée, en quelque sorte à travers les siècles. Ces 5 skandhas, ce sont des niveaux de conscience en fait (sauf le premier). Par exemple si on se fait tirer dessus avec une flèche (on se fait flécher) le premier skandha c’est la forme ou le corps. Dans l’exemple de la flèche, il faut d’abord un corps ou une forme pour qu’il y ait une rencontre entre la flèche et notre corps. Sinon, si l’on est juste un esprit, la flèche va passer à travers. Le deuxième skandha, c’est la perception. A ce stade-là, il y a juste la conscience d’un choc, le choc de cette rencontre. Le troisième skandha, c’est la sensation, c’est là où l’on rentre dans la dualité : J’aime/je n’aime pas, beau/pas beau, je veux/je veux pas, etc… plaisant/déplaisant. Dans le cas de la flèche : déplaisant. Le quatrième, c’est ce qui nous fait reconnaître quelque chose. Donc, là on reconnait : « ah, c’est une flèche ». Ce skandha peut-être traduit par « Les formations mentales ». C’est ce qui nous fait labéliser l’evènement. Dans ce cas précis, comme quelque chose de dangereux. Le cinquième c’est l’égo et lui dans le cas de la flèche, a peur à juste titre pour sa survie et pense : « houlà, je vais peut-être mourir » Il y a une possibilité de mort. Il y a plusieurs variantes de la théorie des 5 skandhas, ça c’est celle du xi Tchan. Le Tchan est l’ancêtre chinois (toujours vivant) du Zen japonais qui est une des formes de bouddhisme les plus connue en occident.

Le « sans jugement »
Lorsque cette dame parle « malheureusement le mental (…) (cf. citation plus haut), elle conseille, en fait, d’être dans la perception sans jugement. Probablement, en tout cas, moi tel que je le comprends. Ce n’est peut-être pas ce que cette dame veut, mais, ce qu’on apprend dans le bouddhisme, c’est d’être dans la perception sans jugement, (donc au niveau du deuxième skandha), de percevoir les choses telles qu’elles sont, d’être ouvert sans jugement. Par exemple là, je suis en train de regarder par la fenêtre et j’aperçois la lumière du ciel, le mouvement dans le vent du tissu du drapeau de mon boulot, des feuilles du marronnier qui sont dans ma fenêtre. Si je suis juste dans la perception, il y a juste une perception du moment qui est et de ce qui est là. Après on peut rentrer dans une discrimination dans des jugements de valeur : par exemple c’est agréable, mais j’en ai marre d’être là, à regarder là, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je suis en train de penser à ce qu’il faut que je fasse. Il faut que j’aille faire les courses. Il faut faire ceci cela, etc… On n’est plus dans le présent.
Il est recommandé dans toutes les formes de bouddhisme, dans ce qu’on appelle la méditation, d’être juste là, présent, sans jugement et de laissez-passer les différentes formes pensées, les différentes sensations qui peuvent surgir, les laisser venir et repartir parce que de toute façon elles sont impermanentes.

Scepticisme vis-à-vis de la notion de liberté dans la littérature new age
Je ne sais pas si j’interprète, mais lorsqu’elle dit que la sensation première disparaît au profit de l’action, c’est quand on est pris en fait : on n’est plus dans la contemplation, on est pris dans les rets de l’existence active. L’action est nécessaire, il ne s’agit pas de rester assis sur son coussin et n’en plus bouger mais le problème c’est que souvent l’action nous fait oublier d’être présent et alors on est plutôt vécu, plutôt que de vivre consciemment. Namkhai Norbu Rinpoché, un maître bouddhiste Tibétain célèbre donnait l’exemple de prendre un verre d’eau et de traverser son appartement ou sa maison en en étant conscient à chaque instant. Bien souvent si on fait cet exercice on se rends compte qu’une certaine conscience est là qui fait qu’on ne va pas renverser le verre par exemple et aussi arriver à destination. Mais d’un autre coté des pensées se sont manifestées qui ont fait oublier la présence à ce que l’on fait, pendant un moment on était absent, absorbé dans nos pensées. Cela révèle comment même sur un si petit laps de temps, nous avons du mal à nous concentrer. Ce genre d’exercice et d’autres permettent par la pratique, d’intégrer le mouvement à la contemplation ou à la « méditation de pleine conscience » comme on dit aujourd’hui.

Après, il y a le bouquin sur les pierres des soins de Catherina Zita. Alors, c’est curieux parce qu’elle utilise la fumée de sauge, par exemple… Moi, j’ai le sentiment que tous ces bouquins ésotériques sont des emprunts. J’avais le sentiment, dans le bouquin précédent, qu’il y avait un peu des emprunts au bouddhisme, mais cette dame ne le sait, peut-être même pas, car elle a emprunté ça à d’autres, etc.. Il y a cette question des sources. Tous ces gens, on a l’impression qu’ils écrivent comme s’ils avaient la science infuse, ou alors ils ont reçu des messages de l’au-delà ou par d’autres cercles, mais on ne connait pas trop les sources. Moi, en tant que scientifique, je préfère connaitre les sources.

Emprunt Amérindiens : le rapport de familiarité avec tout le naturel
Par exemple, cette dame-là qui parle des pierres, ça c’est un emprunt. Pas un emprunt au Bouddhisme, mais aux peuples premiers, aux Amérindiens, aux chamanes de Sibérie, etc… Bon, les Amérindiens ce sont eux qui utilisent beaucoup la fumée de sauge. Les Amérindiens que je connais (je parlerai des Sioux du Dakota, je ne peux pas parler pour les autres, je connais assez peu les autres traditions, j’ai lu quelques livres sur les Cheyennes, sur les crows, mais je ne connais pas beaucoup, en fait, les autres peuples). Mon chef indien, Archie disait que tout ce qui est naturel est vivant. On est dans un rapport de familiarité avec. Ce n’est pas seulement les êtres humains de notre famille qui sont nos frères et sœurs, pères et mères, etc. Ce sont tous les êtres humains, tous les animaux. Ce sont tous les végétaux et même les pierres. Il me semble qu’il y a un peu d’emprunts, là.

Acculturation et commercialisation de l’Indien
Et évidemment, les Indiens sont très sensibles à ça, parce qu’on leur a tout pris. Ils avaient un continent, ils ne l’ont plus maintenant. On a pris leur vie. C’était un génocide. On leur a pris leur culture. En ce moment, il y a ce scandale au Canada avec tous les enfants morts que l’on retrouve dans des internats indiens. C’est-à-dire que l’on piquait les enfants de force à leurs parents. On les mettait dans un internat. Ils avaient interdiction de parler leur langue et de pratiquer leur culture. On voulait les acculturer, les transformer en blanc (mais quand même en blanc de deuxième classe). Il fallait tuer l’Indien pour faire naître le chrétien. On a fait ça et les gens sont devenus riches sur leur territoire et ils ont toujours fait de l’argent avec. En plus, ils ont commercialisé le folklore Indien. Ils ont fait des films avec des faux Indiens, vendu des objets authentiques ou répliques, etc.
Maintenant, c’est la grande mode de faire des trucs spirituels Indiens. Les gens font de l’argent avec ça. Alors qu’eux, dans leurs cérémonies, traditionnellement, les cérémonies n’avaient pas de coût. Maintenant, des blancs comme moi, qui font huttes à sudation sont suspects de faire de l’argent avec. C’est pour ça entre autres, que je fais partie des gens qui ne demandent jamais d’argent quand je fais des cérémonies. Je peux faire circuler un chapeau ou chacun peut donner ou non ce qu’il veut pour payer le bois et pour envoyer de l’argent à la réserve pour des projets, justement, de soutenir de gens pauvres là-bas. Mais, je ne prends jamais d’argent pour moi. Moi, je suis heureux d’avoir bénéficié de cela. Cela a transformé ma vie positivement. Lorsque je fais des cérémonies, je redonne, je redistribue le bien que j’ai reçu. J’essaie de partager cela avec d’autres. C’est un peu la philosophie que j’ai.

Hors des continuums spirituels : des possibles intuitions et synchronicités
En même temps, je ne dis pas qu’il ne puisse pas y avoir une sagesse, en partie, dans des livres comme ça et que certaines de ces personnes puissent avoir de véritables intuitions. En tout cas toi, Bertrand, tu me sembles être quelqu’un de sensible puisqu’il commence à y avoir des coïncidences. Quand tu dis « j’ouvre au hasard pour voir le passage qui fut le plus intéressant : je tombe sur « coup de foudre amoureux » et au moment où je retranscris ces notes, un coup de tonnerre se fait entendre au-dehors ». Il y a des synchronicités. C’est intéressant, il y en a quelques autres auxquelles tu fais allusion.

Mes inscriptions dissociées dans deux continuums spirituels
Alors le bouquin de Latour : « vous ne pouvez pas me dire à la fois que vous avez fabriqué vos fétiches et que ce sont de vraies divinités. Il vous faut choisir : c’est l’un ou l’autre ». Donc ça, c’est une manière de penser (je n’ai pas très bien compris s’il critique ça ou s’il dit çà), mais en tout cas là on est dans le dualisme. Bon, au cas où tu ne le saurais pas Bertrand je suis aussi bouddhiste. J’ai deux spiritualités, deux religions. Je suis dissocié aussi à ce niveau-là : quand je fais l’une, je ne fais pas l’autre, je ne mélange pas pour ne pas faire de soupe new âge. Pour m’inscrire dans un continuum à chaque fois. Je juxtapose, comme le fait que je ne mélange pas la science et la spiritualité. Je laisse l’un et l’autre vivre. Bien évidemment, elle se croisent en moi et de temps en temps il y a des fusions, des symbioses qui se font.

La sensation est le vide la Prajnaparamita
En tout cas, il y a un enseignement essentiel dans le bouddhisme mahayana qui s’appelle la Prajnaparamita, la connaissance transcendante. Je vais t’en lire un petit bout. C’est la traduction d’Alexandra David Neel.
« Les cinq groupes constitutifs (donc les cinq skandhas) sont, par eux-mêmes, vides. La forme est le vide. Le vide est la forme. La forme n’est pas autre chose que le vide. Le vide n’est pas autre chose que la forme. La sensation est le vide. Le vide est la sensation. La sensation n’est pas autre chose que le vide. Le vide n’est pas autre chose que la sensation. De même, en est-il des perceptions, des confections mentales, de la conscience, connaissance. Chacune d’elles est le vide et le vide est “elles.” Elles ne sont pas autre chose que le vide et le vide n’est autre chose qu’elles. »

Déités vides
Dans le bouddhisme tibétain qui est la forme de bouddhisme que je connais le mieux, il y a des tas de divinités ou de déités, plutôt. Mais qui sont considérées, aussi, comme non différentes du vide. Le vide n’est pas le néant. C’est le fait qu’il n’y a pas d’existence propre. Ni dans le temps : Par exemple, le Loïc que je suis actuellement n’est pas exactement le même qu’il y a cinq minutes et que dans dix minutes, parce que mes cellules changent constamment. Il n’y a pas de permanence. Tout est impermanent. Ni dans l’espace : je suis un agrégat, je ne suis pas indivisible : je suis complètement divisible et tout est ainsi. Il n’y a rien qui soit indivisible. Il n’y a rien qui soit permanent. Tout est impermanent et tout est divisible. Il y a un mantra dans le Tchan qui dit : « tout est agrégat et tous les agrégats sont impermanents ». C’est ça le vide, ça ne veut pas dire que c’est le néant. Tout est interdépendant. Toute naissance signifie mort. Toute création naît dans l’interdépendance. Dans ce sens-là, on peut faire des rituels très compliqués ou l’on va visualiser une déité, on lui fait des offrandes, on peut se prosterner devant elle, etcétéra et, en même temps, à la fin du paragraphe on dit : « mais en fait, il n’y a pas d’offrande, il n’y a pas d’offreur ni “quelqu’un” qui reçoit ».

Juin 2021, Loïc de Bellabre