Journal des pépites

La Coudraie, le 06 janvier 2022

J’écris enfin sur une souffrance profonde que j’ai encaissée sans rien dire. C’était en 2013. Bertrand était bien soigné pour un myélome. Il allait bien, son moral était excellent, et nous avions tous les deux décidé qu’il guérirait pour de bon. Une personne de notre famille a dit, alors, devant moi, à un oncle et une tante, qu’elle connaissait quelqu’un qui avait la même maladie, et qu’elle savait que « ça reviendrait ».

Cette phrase assassine m’a fait beaucoup de mal, dans un moment où j’avais besoin d’être épaulée, rassurée, réconfortée. J’attendais des paroles d’espoir.

Heureusement qu’il y avait, autour de nous, des gens totalement différents. Françoise (condamnée par les médecins à ne plus vivre que quelques mois, et maintenant totalement guérie depuis 15 ans) nous a parlé de sa guérison et de ses thérapeutes près de Manosque. Martine m’a parlé de son père qui, à quarante ans, a eu la même maladie et a vécu jusqu’à 80 ans (en pleine forme), grâce à la macrobiotique. Ma sœur Geneviève m’a raconté que son mari avait un cancer du poumon totalement guéri après un voyage très joyeux en Russie, et ainsi de suite. Nous nous sommes entourés de personnes bienveillantes et avons rempli notre vie d’optimisme, de joie, d’humour, d’amour, de danse, de marche, de vélo, d’amitié, de nourriture saine.
Eh bien : à quelque chose, malheur est bon. Finalement, cette épreuve m’a permis de blinder notre vie contre le pessimisme et l’ignorance.

Anne Bironneau.

Des Pépés-Mémés de cœur

09 février 2021

Je reviens du travail, je prends le chemin des cailloux qui va vers Baraguay. Comme souvent, j’aperçois Élise et Robert qui marchent en bottes sur la route. Cette fois, je ne me contente pas de m’arrêter et de baisser la vitre. Je descends et les embrasse. J’aime tellement les écouter. Je pourrais les écouter des journées entières. Robert aime parler de ses bois, de son passé. Je me sens comme une toute petite fille qui est en admiration devant son pépé. Pépé sait tout, Il sait tout faire. Il parle d’une vie qui n’est plus. Un temps où l’on prend son temps. On vit doucement, calmement. On fait une chose d’abord, on la fait bien. Après, on en fera peut-être une autre. Élise, c’est ma « mère », elle est douce et parle peu. Elle aussi écoute Robert et se souvient avec lui de cette vie exemplaire, droite et honnête. Quand on va chez eux, elle me montre les photos de ses petits, elle est fière, elle en a plein plein plein. Ils sont beaux, aussi beaux que ce doux visage tout plissé d’amour et de patience. Robert sourit à ces portraits ; il ne le dit pas, lui, mais il est très fier aussi. Ils sourient beaucoup, tous les deux, chaque fois que je les rencontre.

On est invité à manger la tarte, avec un petit verre de vin. Robert montre à Bertrand les bûchettes qu’il taille à la hache pour allumer la cuisinière à bois. Bertrand lui demande s’il a du bois à vendre, Robert l’emmènera demain dans son taillis. Il aura gardé ses chaussons pour lui montrer les stères. Je ne sais pas s’il s’en est rendu compte : ici, il est  partout chez lui, et depuis cinquante-cinq ans, il arpente ce coin de terres qu’il entretient.

Si c’était Marcel, il dirait :  » tu vois Ânne » (â comme le o de l’or) tout en m’apprenant à fagoter, en bordure de la haie, « y’a pas d’endroit ici où j’ai pas mis l’pied » et il me montre ce  champ immense, qui descend en pente douce, chauffé par un petit soleil d’hiver. Marcel, c’est mon autre «pépé » ; celui de Vendée. Mes deux pépés et mémés adoptifs : je les ai perdus beaucoup trop vite, tous les quatre.

J’ai quitté la Vendée, mes voisins Marcel et Marie, après seulement deux petites années. Un crève-cœur. Marie est l’amour personnifié, c’est ma Mémé Optimiste « ne t’inquiète pas , Anne, tout finit toujours par s’arranger»  me répète-elle souvent. Et c’est vrai, ça a été vrai toute ma vie, c’est vrai chaque jour. Avec eux, je fais les vendanges. Tous les voisins, les amis sont là. Marie a préparé un festin pour nous remercier. Des fois avec Marie et Marcel on joue à la belote après dîner. Marcel sert des petits verres de son bon vin. Je n’en prends pas, car j’attends Joseph. On rit beaucoup, je ne sais plus si quelqu’un essaie de tricher, mais je ne crois pas. On s’en fout de gagner, c’est bon d’être ensemble dans la cuisine – salle à manger – salon où la cuisinière à bois nous inonde de sa douce chaleur. J’aurais voulu que ces moments avec mes Pépés et Mémés de cœur durent toute la vie.

Je me sens amputée de leur amour, on ne nous prévient même pas quand Élise est décédée. Un jour que j’apporte ses courses à Élise, ses enfants sont là, ils l’emportent de force à la « ville » car Robert est hospitalisé. A sa sortie, ils les installent de force dans une maison neuve. Élise fait une grosse dépression. Elle a vécu toute sa vie ici, à Baraguay. Comment peut-elle s’adapter en ville ? Plus de potager à cultiver, de fleurs à bichonner, de poules à dorloter. Du bruit, des voisins absents ou indifférents. Plus de champs et de bois à perte de vue, que l’on arpente avec de bonnes bottes. Des clôtures, des barrières, du goudron. Je les revois encore un peu, car ils passent des journées dans leur ancienne maison. Mais plus de lit, il est à la ville. Le soir il faut « rentrer », comme des prisonniers rentrent en cellule. Je vais parfois les voir dans leur pavillon, Élise est toute triste. Robert s’adapte mieux, il parle à tout le monde, c’est une grande figure de Lavernat, une célébrité. À son décès, le cimetière est plein. Tout le monde le respectait. Notre ami Fabien dirait « encore une bibliothèque qui brûle! ». Depuis, le grand vide. Les voisins arrivent, restent un peu, déménagent, souvent. Il reste le grand champ, les taillis où l’on passe parfois avec Bertrand tout émus et souriants, car on pense à Robert en chaussons. Maintenant c’est nous qui arpentons toutes ces terres en bottes. Même après 18 ans de marche autour de la Coudraie, il nous arrive, encore, de découvrir un nouveau sentier dans la forêt.

Anne Bironneau

Écrire pour ne pas rester con, « in fine »

Mercredi 22 avril 2020

Au début, j’ai eu beaucoup de mal à accepter l’impossibilité d’aller au café avec les amis, de les accueillir à la maison, d’aller les voir. De ne plus mettre les pieds sous la table au resto !!! L’une de mes grandes joies, pas de : cueillette, grattage, lavage, épluchage, cuisson, pas de vaisselle ; déguster de nouveaux plats, mhm quel bonheur ! Impossible aussi de randonner avec mes amies, d’organiser la fête des voisins, d’aller causer english chez C., ma prof anglaise ; de faire trois heures de vélo le dimanche, avec la pause pique-nique, face à l’un des magnifiques paysages de la Vallée du Loir.

Il faut dire qu’ici, les paysages sont très variés et aussi splendides les uns que les autres : collines, vallées, plateaux, vestige de la forêt des Carnutes[1] et ses chênes tricentenaires ; miroitement du Loir et ses sauvages rives. Partout, ici et là, des bâtisses médiévales, des chemins creux et des ruisseaux, des mégalithes, surgissant dans d’improbables clairières, des dizaines d’espèces d’orchidées sauvages, des plantes carnivores dans les tourbières, des sangliers, dont trois générations ont été apprivoisées dans une ferme plus haut (l’aïeul, Tutur, a « joué » dans la Reine Margot). Quel pays ! Et puis, les premières semaines ont passé. J’ai commencé à m’habituer, à ma plus grande surprise. Il a fallu parfois que je prenne le téléphone pour appeler les amis, mais pas tant que ça finalement. Les emails étaient souvent suffisants pour calmer mon besoin de relation sociale. La radio aussi, quelques textos parfois. J’ai un peu harcelé les enfants, mais parce que j’étais morte d’inquiétude. Mais maintenant cette peur s’en va. Ils sont en très bonne santé et même s’ils étaient malades, ils auraient une forme bénigne du « chikungunia ». (C’est ainsi que je l’appelle). Je ne regarde pas les infos : trop morbides et pessimistes.

En fait, celui de nos fils qui m’a le plus inquiété, c’est T, notre gendre. Il a subi une hémorragie du tronc cérébral et nous avons craint pour sa vie, terriblement.

La distance (700 kilomètres) nous impose des souffrances difficiles. Se voir de temps en temps. Être loin d’eux quand il y a des coups durs. Comment font les familles dont les enfants sont aux USA ou en Australie ? Comment font mes enfants pour supporter que leur père vive à l’autre bout de la planète ? Je compatis à ces malheurs-là. Mais là, en ce moment, ce n’est pas seulement être loin : c’est renoncer à voir nos enfants, renoncer à garder nos petits-enfants : un crève-cœur. Maintenant il faudra attendre le mois de juillet ? Ou pire. Voilà pour le « tout noir ».

Maintenant, le tout beau

Par où commencer ? L’amitié.

Notre ami F et sa grande tolérance. Rien n’a pu nous diviser malgré les pressions et censures successives de nos écrits respectifs. Au contraire ! F et C sont plus que jamais nos amis. J’ai repris le yoga, et accepté de remplacer les marches par cette activité, plusieurs fois par semaine : respiration, soins des tendons, des réseaux lymphatiques et sanguins, des muscles, des ligaments, du moral, de la souplesse. Bertrand n’ayant plus de cours à écrire et à donner, il gagne un temps fou et il a plus de temps pour les 4 hectares de la Coudraie ; j’ai l’impression que nos disputes ont disparu, jamais l’harmonie qui nous réunit n’a été aussi subtile.

Je lis dans mes courriers que les femmes et les enfants cuisinent énormément, les familles mangent donc des plats frais, sains et « maison ».

Les jeunes que je connais vont mieux, je reçois des nouvelles de plusieurs familles où les relations avec/ou entre les ados étaient tendues auparavant, et sont devenues agréables.

J’ai fait la connaissance de nouveaux voisins, que je ne voyais jamais, car ils étaient… au travail. Nous entendons toute la journée les cris joyeux de leurs enfants, c’est une pulsion de vie qui nous enchante.

J’avais prédit, pour 2O2O, de grands changements pour la planète et je vois, avec joie, qu’elle respire beaucoup mieux. L’air est encore plus pur ici, nous marchons parfois sur les routes et les voitures sont rares, ce qui donne aux randonnées un goût de paix et de silence que nous n’avions jamais connu, même le dimanche…

Anne Bironneau

[1] au IVe siècle : Débris isolé de l’immense « Bois dit des Carnutes », voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_de_Berc%C3%A9#Histoire

la futaie des Clos, qui date de 1647, abrite les plus vieux arbres de la forêt, voir : http://www1.onf.fr/enforet/berce/explorer/decouverte/20130828-133101-774969/@@index.html

 

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