Six postures (pré)ontologiques
(Planche n°4)
Cette récapitulation de Maniglier commence, donc, par un énoncé pré-ontologique qui met en avant la notion d’immanence. Comment as-tu dessiné cet énoncé ?
Au début de ce travail de traduction, j’ai croqué une première planche. J’avais tracé une grande ligne avec quelques mots-clefs. Une autre ligne la croisait, mais l’ensemble formait un visuel très plat. Je l’ai complètement transformé après avoir terminé l’ensemble des planches. J’ai opté pour montrer une immanence plate avec la forme d’une sphère : cela me paraissait contre intuitif au début de ce travail.
J’ai peut-être choisi la facilité en englobant différents concepts à l’intérieur d’une sphère. Selon la logique de cette architecture ontologique, celle-ci aurait dû être dessinée à côté, sur un même plan. Cela commence un peu mal au niveau didactique, j’en suis désolé ! Aussi, contrairement à ce que montre cette planche, cette sphère n’est pas un cadre à l’intérieur duquel interagiraient les concepts listés.
Je remarque tout de même que « ta » sphère n’est ni régulière ni homogène. Elle a une forme pas vraiment ronde et ces contours ne sont pas dessinés avec une même couleur.
Oui, et je pourrais ajouter en m’inspirant de Latour (2006, p.365) — mais je n’ai pas su comment le dessiner — que cette immanence qui semble se déplier à l’intérieur de cette sphère (qui n’intériorise rien du tout) ne se « déplie » pas selon un mode :
– isotopique (cette immanence ne se déplie pas selon une même présence locale) ;
– synchronique (elle ne se déplie pas selon une même temporalité) ;
– synoptique (elle n’est pas visible en une seule fois) ;
– isobarique (elle n’exerce pas la même poussée à tous les endroits, tous les temps, toutes les globalités).
Est-ce que l’on peut repérer des éléments du plan de cette annexe dans ta présentation visuelle de cette immanence ?
Non, cette planche me sert plutôt à comprendre dans quelles prédispositions physiques je dois accepter de me placer si je veux essayer de saisir la « récapitulation » qui va suivre. En la voyant, je me dis que je m’apprête à avancer dans un plan d’immanence traversé par des concepts que je qualifierais de « sportifs ».
Quels genres de sports ?
L’horizontalité (concept 1) me fait songer à un sport de course à pied ou de vélo (ce qu’évoque moins nettement la verticalité et sa posture potentiellement plus statique). La multiversalité (concept 2) m’engagerait, elle, je l’imagine, dans un type de sport basé non pas sur la linéarité, mais sur un assemblage de postures qui me rendrait disponible aux présences multiples comme dans le Thi gong par exemple. Le sport de « l’agentivité » (concept 3) me fait songer à une sorte de danse qui constituerait à suivre l’improvisation des actants (ou plutôt des « agirs ») : un genre de sport, qui pourrait me faire transpirer ! La « traductivité » (concept 4) pourrait, je le suppose, être un sport de jeu de piste, où je risquerais à tout moment de perdre la trace de ce qui a été traduit, trahit. Le sport de la « surdéterminabilité » (concept 5) pourrait certainement me donner le vertige tant il m’obligerait à reconsidérer, à chaque pas, les déterminations en présence. Le sport n° 6 (enfin et ouf !) — la terrestrialité — pourrait, lui, m’obliger à participer à une sorte de jeu collectif fait d’occupations et de résistances de terrain : comme le foot, évidemment.
À défaut de vraiment saisir la logique de ces énoncés conceptuels, je vois cette planche comme une sorte de panneau d’avertissement. Tenue de sport exigée ! Voilà comment je comprends cette planche sur les prédisposions pré-ontologiques.
Tu parles du football. Toute cette planche ne montre-t-elle pas l’ontologie d’un sport collectif de ballon ?
C’est à explorer, oui, pourquoi pas ! On pourrait se dire que pour que ce genre de sport « existe », il faut que le ballon, avec sa forme, sa gravité terrestre 6) soit à tout moment relié à l’assemblage des joueurs, des équipements, des équipes et des équipementiers (notamment) (2), à l’agentivité passionnée de ces actants (3), à leurs passes, leurs traductions (4), à la surdéterminabilité des enjeux, des règles du jeu (5), à la platitude du terrain (1). Ces six aspects sont reliés aux autres d’une manière directe, immédiate, immanente. Oui, c’est vrai, tu as sûrement raison, on pourrait s’aider de ces six éclairages pour explorer l’ontologie des sports de ballons.
Ça ne serait pas trop écrasant de se dire qu’il existe seulement six pistes de lecture ontologiques ?
Il faudrait interroger l’auteur de cette liste (Patrice Maniglier). J’imagine qu’il y en a bien plus que six et j’ai fait en sorte de laisser dans cette planche pas mal d’espaces vides pour qu’on imagine cela possible. J’aurais même pu griser ces espaces pour évoquer le « plasma » de Latour -2006, voire les « possibilités virevoltantes en réserve » de Simondon-1958. À défaut de nous aider à explorer ces espaces vides, cette planche à le mérite de nous montrer six postures qui nous prédispose à l’ontologie du terrestre (six postures que l’on va ensuite explorer). C’est comme cela que je comprends ce titre de pré-ontologie.