Vers un conseil (municipal) du terrestre ?

Temps de lecture : 5 minutes

Source : journal de bord loinverlà (questionnement à explorer : et maintenant, vers un conseil du terrestre ?) Bertrand Crépeau

Dimanche 17 novembre 2024,

19 h : journée de vote dans le bourg. Ai aimé retrouver mes ex-colistiers en chair et en os. À l’heure où j’écris, le dépouillement doit être terminé, mais je ne connais pas le résultat. En allant voter, j’ai pensé à un article du Monde qui interroge Michaël Foessel et Bruno Karsenti sur les raisons de la poussée de l’extrême droite (8/11/2024). L’un d’eux (le second, je crois) dit que « lorsqu’on fait primer l’idée de moi commun sur l’idée de chose commune, de res publica » on falsifie (je traduis cela ainsi), la prophétie initiale de la république. Je me suis dit que les deux listes ont plus misé sur le « moi commun » du village que sur les « choses communes » qui n’ont été désignées qu’en arrière-fond. D’une façon assez paradoxale, c’est la liste alternative qui semble avoir plus insisté sur le rejet de la commune nouvelle. L’autre liste a proposé une profession de foi avec deux ou trois phrases écrites à l’emporte-pièce (ainsi que trois mots-clés disposés d’une façon pataude sur la feuille : dont le mot « indépendance »). Leur posture identitaire leur a évité de se justifier sur l’importance qu’il accorde au « moi commun » et ils ont pu désigner un ou deux « biens communs » (le lotissement, le Sivos, de mémoire…).

« Notre » liste aurait-elle pu se focaliser plus nettement sur des choses communes ? Il nous aurait fallu porter plus corporellement cet attrait envers ces choses (en nous montrant, donc, plus « terrestres » dans un sens, en tout cas, où je le défends sur ce site terragraphe, notamment). Malheureusement, la courte campagne nous a défavorisés face à une liste adverse qui n’a eu besoin que de se montrer debout dans une prairie, pour rappeler son attachement aux « choses » du village.   

21 h : je viens de consulter les résultats. Toute la liste adverse a été élue. Même si je suis content que certains « amis » soient élus, je trouve cela ATROCE. J’ai honte d’habiter dans ce village. Je vais écrire à mes ex – colistiers pour leur adresser toute ma sympathie.      

Lundi 18 novembre 2024

10 h 45, j’ai remercié hier Félix d’avoir supporté à ce point « l’envoi de mes mails à la c. » lors de la pré-campagne. Je pense sincèrement que son attitude envers eux fut assez formidable. J’ai reçu trois mails ce matin de mes ex-colistiers et j’hésite à leur répondre (je crains lasser avec mon rapport à l’écriture « diaire » qui me rend capable d’écrire tout et son contraire d’un jour à l’autre).

Je pourrais, à la limite, leur signaler l’existence de ce nouveau journal que j’ouvre d’un « non-colistier abattu » par le résultat d’hier. Concernant ce résultat, Félix voit la victoire d’un homme qui a entretenu depuis sa défaite de 2014 (en tant que maire) le mythe de son retour tout autant qu’un réseau de soutien qu’il a grassement choyé. Félix dit que « les hommes de la terre » ont vaincu. À mes yeux (et aux yeux de Félix, certainement), le retour de ce maire annonce plutôt le retour de l’extractivisme, c’est-à-dire du hors-sol, c’est-à-dire de tout ce qui n’est justement pas la « terre ». Face à cet autoritarisme hors sol, face à ces « hommes de la terre » (comme le dit Félix) notre liste fut celle des sœurs de la terre (je crois avoir déjà évoqué ce point dans le journal d’un colistier illisible). Notre liste ne semble pas vouloir se désunir au lendemain d’une défaite totale. Sylvia, Marc et Camille se disent prêts à poursuivre l’aventure. Les deux premiers disent que l’attente sera courte (prochaine élection municipale en 2026), Camille propose d’instaurer, dès à présent, des dispositifs alternatifs de concertations municipales. Je me sens en phase avec lui. Me faut-il annoncer cela par mail ?

Avant d’aller voter hier, j’ai visionné avec un grand plaisir un documentaire de Dominique Marchais : la ligne de partage des eaux :

https://www.on-tenk.com/fr/documentaires/la-manufacture-d-idees/la-ligne-de-partage-des-eaux

Comme le doc est un peu long, je l’ai visionné en fois 1,5 et parfois même, fois 2. Ce que j’ai aimé c’est la manière dont est montré de façon très légère l’exercice de la controverse tout au long du doc. J’en retiens trois ce matin :

– celle, entre un paysagiste et une « énérgitique » à propos du choix de l’orientation des maisons d’un lotissement écolo ;

– celle, entre un brigadier de l’OFB et des agriculteurs qui ont « nettoyé » les abords d’un ruisseau (à ces derniers pensant avoir fait leur devoir d’agriculteurs, le brigadier rappelle « qu’un cours d’eau, c’est comme une maison, si vous enlevez la toiture, les habitants ne vivent plus à l’intérieur) ;

– celle, aussi, entre une mairesse avec elle-même, tiraillée entre son souhait de protéger une zone humide et son souhait de réhabiliter une dent creuse du bourg pour éviter le dispersement de l’habitat…

J’ai trouvé que ce doc illustrait bien le bouquin que j’essaie de lire de Sophie Gosselin et David Gré Bartoli, La condition terrestre, habiter la terre en commun (Seuil, 2022). Tout comme dans ce livre, le doc montre « des cosmopolitiques en acte » qui n’ont pas uniquement pour scène (loin de là) les lieux institués par l’État (la salle de conseil municipal, par exemple).

Ce matin, comme mes ex-colistiers, je doute que le nouveau maire soit capable de créer un dispositif municipal qui permette aux cosmopolites points de vue (et de vie) du peuple villageois de se manifester. Camille propose de s’inspirer de la pratique d’un « comité citoyen » à l’œuvre dans un village voisin. OK avec cette idée, si ce genre de comité se focalise plus sur les « choses communes » que sur le « moi commun ». OK, si la transversalité de ce genre de comité s’ouvre aux citoyennetés autres qu’humaines. OK, si ce genre de comité s’apparente à ce que je pourrais nommer (au moins dans ce journal de bord), un « parlement » ou « conseil du terrestre ». OK, donc.

Mardi 19 novembre 2024

7 h : cette précision peut être : ce ne sont pas tant les choses du terrestre, comme objets « essentialisés » qu’il faut mettre au centre de ce conseil (la terre agricole, par exemple) que ce qui les précède (« transductivement » aurais-je pu dire, par ailleurs) : les relations que les quasi-objets du terrestre « entretiennent » avec les quasi-sujets. (Que ceci est rapidement dit ! Je note simplement cette précision pour plus tard).

Mercredi 20 novembre 2024

22h13, ce matin, je me suis rendu compte que je n’étais pas capable d’expliquer à mon épouse pourquoi des élections complémentaires avaient été organisées. Quel fut l’historique précis? Quelles furent la motivation des démissionnaires ? Quelles conséquences cela a entrainé ? Je n’en sais rien ! Aucun récit n’a, en fait, été produit : le maire démissionnaire, n’a pas pris la peine, par exemple, d’informer ses administrés. Mon épouse a découvert ce matin que le mandat de la nouvelle équipe municipale se terminerait dans 15 mois ! Ce fut une bonne surprise pour elle, mais cela me montra dans quelle zone d’inconnaissance cette élection nous a plongé collectivement.

Je n’ai toujours pas répondu à l’invitation de Camille à poursuivre le travail du collectif sous une autre forme d’ici la prochaine élection. Je me souviens avoir fait la même proposition au lendemain de notre défaite de 2021 (je trouvais, alors, que notre non-élection avait été une chance pour pouvoir réaliser ce que nous avions imaginer lors de notre campagne d’alors) et je me souviens, aussi, de mon étonnement devant le manque d’enthousiasme de mes ex-colistiers. Je ne comprenais pas pourquoi ils surestimaient autant le pouvoir formel des vainqueurs… sans prendre en compte le fait qu’ils détenaient un fort pouvoir fonctionnel. J’ai l’impression que ce pouvoir fonctionnel des vaincus est encore plus fort cette année (j’ai écrit quelques lignes dans mon journal précédent sur leur plaisir à fonctionner ensemble) Camille a donc vraiment raison de proposer l’instauration d’un dispositif qui serait plus fonctionnel que formel. Le collectif y serait tout à son aise.

De mon côté, en tout cas, je me sentirais plus enclin à m’investir dans un conseil villageois plutôt que dans un conseil municipal gouverné par un cadre étatique.

Il est tard, je voulais noter avant de me coucher cette découverte faite en lisant le livre de Sophie Gosselin et David Gré Bartoli que je citais hier, je crois.

Il est question d’un article du code civil qui précise que le bien communal appartient aux habitants et non à la commune en tant que personne morale. C’est en tout cas cela que je retiens. Certains collectifs se servent de cet article pour faire vivre des conseils d’habitants.

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006428841

Voilà donc, pour ce soir.

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