Saule pleureur
Pour notre voisine Christiane,
05 mars 2021
Le Salix sepulacalris est le fruit d’une rencontre entre le saule blanc et le saule de Babylone. Ses branches pendantes et les deux liquides qui coulent de ses feuilles (de la sève et de l’eau de condensation) l’associent naturellement au moment de la sépulture (sepulacalris) où l’on pleure, l’on pleure et l’on se penche.
Le nom du genre « salix » pourrait être lié à la possibilité de tourner et rouler ses rameaux pour tisser des clôtures ou des paniers. Il pourrait, aussi, signaler que les saules aiment habiter au bord de l’eau (ce n’est pas toujours réciproque).
Le nom « feuille-de-saule » ne s’associe pas uniquement à des feuilles de saule, il désigne aussi des poignards en pierre du paléolithique. L’association inspira, bien avant les fabricants d’aspirine, les thérapeutes du paléo qui appliquaient des écorces d’un arbre « tout vêtus de poignards » (Lieuthaghi, 1998, p.59) sur des plaies causées par des ustensiles de même bois. Notre histoire commune avec le saule est à la fois technique et religieuse, à la fois séparable et inséparable, consolable et inconsolable : nous puisons l’acide acétylsalicylique depuis au moins 3500 ans et nous chantons, depuis 2500 ans, le psaume 137 « sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. Aux saules de la contrée, nous avions suspendu nos harpes ».
Le saule auquel je pense en écrivant ces lignes n’est pas seul. Il est fait de plusieurs pieds poussant devant la petite terrasse de notre maison. Anne a cueilli quelques branches d’un saule pleureur ayant grandi sur la presque-ile de notre étang. Depuis, ce saule pleureur est mort. Après avoir pleuré toute sa vie au bord de l’eau, son étang s’est montré infidèle : il a cessé d’alimenter sa tristesse et ce fut, pour lui, comme un coup de poignard en plein cœur.
Depuis que les rejetons de ce saule se sont enracinés au bord de la terrasse, je les ratiboise chaque année. Je les empêche d’épandre leur vitalité mélancolique sur notre espace vital. Cette taille annuelle les protège du sombre destin de leur ancêtre. Elle ne nous protège absolument pas, en revanche, du soleil en été. C’est ce que m’a fait remarquer Anne en me demandant, il y a quelques jours, de ne plus leur couper systématiquement la tête. Je me suis incliné : je vais laisser se déployer l’ombre de leur « ancien » au grand jour.
J’ai hésité à me pencher sur ces saules dans ce journal consacré aux herbes. D’un point de vue botanique, le saule n’est pas une herbe. Mais à bien y regarder, il est loin d’être le seul. Le fusain (la dernière herbe en bais décrite dans ce journal) « fait » lui aussi du bois, comme d’autres « font » du mouron ou même chou blanc. En fait, une sorte de synchronisation d’actions semble se profiler : ces saules vont, donc, nous faire de l’ombre grâce à leur penchant à faire du bois. La lignine actionnée, mine de rien au dévonien (il y a près de 400 millions d’années), pourrait, via ces saules larmoyants, égayer un de ces prochains instants où sonnera, chez nous, l’heure de l’apéro. Je trouve cela réjouissant.
J’ai appris que le saule est un végétal dioïque : leurs « chatons » mâles et femelles sont portés par des sujets différents. Je me suis dit que cela pouvait expliquer leur gout pour les rencontres romantiques au bord de l’eau. Les saules posés devant notre petite terrasse (tous des mâles) semblent, en tout cas, faire honneur à ce sens inné de la socialité. Je les ai surpris ce matin, offrant leur pollen à une mésange, un faux bourdon, une abeille, un papillon et une mouche.
Pour ces saules, ce n’est qu’un début. D’autres amis, bientôt, se restaureront à leurs ombres.
Bertrand Crépeau Bironneau