Pratiques et théories éplorées & à explorer
Lundi 17 juillet 2023
Ce tableau a beaucoup de défauts, mais j’ai envie de l’afficher provisoirement sur mon mur de brefs hybrides. Je l’ai ébauché après avoir relu l’article de Baptiste Morizot, Ce mal du pays sans exil, les affects du mauvais temps qui vient. (Critique, Éditions de Minuit, 2019). L’article propose de combler une attente de Bruno Latour dans Où atterrir ? reformulée ainsi par Morizot « Pourquoi ne pas se donner pour tâche de réaffecter des affects modernes puissants aujourd’hui désaffectés, vidés, c’est-à-dire en un sens, disponibles ». Pour Morizot, la « scolagie », cette perte de réconfort vis-à-vis de ses subsistances terrestres (parmi lesquelles on peut citer le réconfort du « chez soi ») nous renvoie à ce temps des mythes ou l’avenir ne peut pas s’imaginer, tant « l’actuel » est traversé par des potentiels (ou êtres de métamorphose) qui ne savent pas « d’où ils viennent et où ils vont » (comme le formulent certains récits religieux). L’évocation de ce temps des « mythes », par Morizot, fait songer à un auteur « grand-père » qui nous est commun : Simondon. Ce dernier utilise ce terme dans son cours (donné l’année de ma naissance en 1966) Imagination et invention (Transparence, 2008). Il prolonge la méditation qu’il avait menée plus tôt (en 1958) dans la fin de sa thèse complémentaire Du mode d’existence des objets techniques (MEOT), Dans une sorte de conte philosophique, Simondon présentait, alors, le mode magique, comme le mode qui précédait, ontologique les déphasages des différents autres modes d’existence (technique et religieux, notamment). C’est un peu sur la trame de cette fin de thèse un peu féerique que s’appuie ce tableau.
Dans le temps du mythe, la terraformation est particulièrement incertaine (Axelos nous fait remarquer qu’il existe des planètes ratées). Les premières stabilités (ligne 2 du tableau) n’offrent pas de meilleures garanties pour l’avenir. Tout au contraire. Seules les mises en fonction des choses et du merveilleux (ligne 3) permettent de relancer la métastabilité de la terraformation. Mais ces mises en fonction se font avec une certaine naïveté voire une certaine violence envers le terrestre. Celui-ci est, en effet, soit expulsé (détaché des choses mises en fonction), soit idéalisé (par la mise en fonction d’un merveilleux conquérant). Cette naïveté/violence conduit (ligne 4) à un deuxième type de saturation : double cette fois-ci (saturation effective et affective). Chacune d’entre-elles étant à la fois consolidée (actualisée) et explorée (potentiellement) dans une zone critique où se confrontent théories et pratiques. Ce que veut montrer, au final, ce tableau, c’est que certaines de ces théories et de ces pratiques nous rendent éplorées, tandis que d’autres nous rendent explorateurs. (Ce tableau montre ainsi en creux que les pratiques forcenées pro ou anti « plantationocène» (plantations agro-industrielles, esclavagistes écocidaires) ainsi que les théories qui les accompagnent (normatives et critiques) ne propose que des effectifs et des affects éplorés).
Ainsi, pour faire face à ce « chez-soi » qui semble nous abandonner, certains explorent des nouvelles manière de faire avec le terrestre (ils activent ce que nomme joliment Morizot des « égards ajustés »). D’autres (mais ce sont souvent les mêmes) explorent de manières de penser ce terrestre (et ses stratégies de terraformation en zones critiques). L’auteur évoque, à ce sujet, les recherches sur le web activées par les jardiniers permacoles à propos, par exemple, de la relation entre leurs poireaux et leurs jardins. Le potentiel de la mise en fonction du merveilleux (la Nature des modernes) est, par eux, ré-exploré dans la pratique d’un jardinage qui reste, au jour le jour, à ajuster. De son côté, le potentiel de la mise en fonction des choses est ré-exploré via la description sensible d’une théorie qui reste, au jour le jour, à dévoiler.
En bref, la recette du bonheur consiste, pour eux, à rejeter l’éploré implacable (militant, déductif) pour pouvoir explorer (comme transducteur et activiste) le fond théorique de la mise en fonction des choses ainsi que la forme pratique de la mise en fonction du merveilleux.