Démocratie et presse locale, fabrication des faits
(Carnet « MÉDIAS LOCAUX »)
Achat ce dimanche au café du Nouzillard du Petit Courrier du vendredi 26 avril dernier. L’avant-dernière page, écrite le journaliste Jean Bernard Cazalets, est consacrée à un séminaire (sur le thème de la démocratie) organisé par de l’association propriétaire du groupe Sipa qui produit l’hebdo, L’ASPDH. Son président, David Guiraud, confie sa crainte vis-à-vis des réseaux sociaux et L’IA « instrumentalisée par de plus grands États ». Il évoque le fait que l’industrialisation des contenus l’information fait suite à l’industrialisation des moyens de distribution peut trouver un remède dans le travail de la presse qui, je le résume ainsi, « enracine son expression ».
Puisque c’est un point de vue que défend aussi l’association terragraphe, je ne peux qu’apprécier. Aussi, j’ai aimé lire le début de cette phrase que le journaliste attribue, dans son article, à son président : « moins au saura qui parle, plus des médias comme les nôtres enracinés dans une histoire, des territoires et des valeurs fortes et constantes auront un rôle à jouer ». Le début de cette phrase m’a plu, car elle fait le lien entre le travail d’écriture du moindre journaliste et sa géo-histoire. Concernant la suite de la phrase sur « les valeurs fortes et constantes », je suis resté plus dubitatif, car je n’ai pas su, précisément, « qui » parlait ici. Je chipote un peu, car l’article est limpide. On comprend en le lisant, que le président parle à la fois au nom de la presse locale et au nom d’une « démocratie humaniste » menacée par le tsunami antidémocratique de l’information « déracinée ».
Une liste de verbes d’action est listée, ailleurs dans l’article, qui permet de comprendre comment ce président de presse relie « ses » deux types attachements (à la démocratie et à la presse géo-historique) : « éclairer, informer, relier les citoyens ». En lisant ces verbes, je me suis imaginé dans la tête d’un journaliste local assis dans cet amphi de la chambre des métiers de l’artisanat de Bretagne à Rennes (une photo nous montre une partie de cette assemblée assise). Je me suis dit : « purée, dans quel boulot je suis engagé ! Comment je vais faire, dès demain, pour éclairer, informer, relier des citoyens ! ».
Visiblement, c’est une mission assez difficile. Un autre article consacré à ce séminaire Breton m’apprend que « la violence à l’encontre des journalistes est devenue banale ». À ce point que des formations sont proposées pour que les journalistes assurent leur propre sécurité. La directrice des rédactions des journaux de l’ouest, Stéphanie Séjourné, s’en désole avec cette formule forte : « nous ne sommes pas des reporters de guerre ». L’article liste les causes de cette violence : « l’incapacité à débattre, des gens de plus en plus ancrés dans leur certitude. Cette méfiance envers la presse locale située en “première loge” aurait commencé, selon cet article, il y a trois ou quatre ans avec l’épisode des gilets jaunes. Il aurait ensuite “explosé” avec le Covid.
La directrice du journal 20 minutes, Marion Pignot, était visiblement aussi présente ce jour-là à Rennes et je ne suis pas certaine qu’elle ait remonté le moral de la troupe des journalistes présents dans l’amphi lorsqu’elle a cité les résultats d’un sondage réalisé par son journal auprès des 18-30 ans. Selon ce sondage, “l’actualité” provoque, chez ces jeunes gens, au moins trois émotions peu réjouissantes : la colère (86 %), l’impuissance (93 %) et de la lassitude (94 %).
D’autres propos de locuteurs, rapportés sur cette même avant-dernière page, semblent plus enthousiasmants. Ils transmettent l’idée que les médias locaux ont “encore du crédit” (Marie Mangane de Publihebdo) et surtout qu’il est possible de mieux expliquer le métier de journaliste (Benoit Guérin d’Ouest France Morbihan), de mieux restituer la “fabrique de l’info” (Jean François Baron, rédacteur adjoint du Maine Libre).
À défaut de pouvoir aider ces journalistes à montrer comment ils fabriquent leurs “faits”, je me contenter de montrer comment je me “fabrique” à la lecture de ceux-ci. Je n’ai pas lu uniquement cet article sur la démocratie et la presse locale. J’ai lu aussi l’horoscope (pas terrible, je préfère oublier cette lecture). J’ai lu l’interview du directeur de l’hôpital de Montval. : il a l’air confiant. J’ai lu qu’un fleuriste de Montval avait vendu sa boutique à une de ces anciennes apprenties. J’ai lu cet article, car j’ai reconnu sur la photo qui l’accompagne, la silhouette d’une jeune femme entraperçue cet après-midi devant cette boutique lors de ma sortie hebdomadaire en ville. De loin, je pensais qu’il s’agissait d’Ernestine. Sur une autre photo, j’ai cru reconnaître la silhouette d’Hugo Rivière dans un de ces tunnels, mais il s’agit d’un autre maraicher, Sébastien Congard qui vient de s’installer au Lude. C’est bien, je commence à faire des progrès. J’arrive à faire des liens entre ce que je crois reconnaitre dans cet hebdo local et ce que je crois reconnaitre lors de mes sorties locales hebdomadaires (ou plus exactement, j’arrive à faire des liens entre la fabrication des faits de cet hebdo local et les faits que je crois fabriquer lors de mes sorties locales hebdomadaires).
Bertrand Crépeau