Quatre mobilisations contre des velléités d’écrasement

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Carnet « MÉDIAS LOCAUX »

Lundi 06 mai 24

Assis, hier, sur un grand tabouret à côté de Robert, j’ai feuillé l’édition du Petit Courrier du 3 mai qui trainait sur le comptoir du café. En ouvrant la page 8, j’ai vu qu’un article annonçait une réunion publique à propos de la possibilité d’intégrer Lavernat à Montval.

— T’as vu Robert, le nom de Montval sur Loir pourrait changer si Lavernat intègre la commune nouvelle !

— Ils viennent de changer, non ! C’est n’importe quoi !

— Ça pourrait devenir Montval sur Loir et Bercé !

Comme mon voisin de comptoir est resté silencieux, je me suis plonger dans la lecture de l’article : la journaliste (Chloé Morin) interviewe trois élus du conseil municipal qui disent leur désaccord vis-à-vis de ce projet d’intégration : un adjoint au maire réclame une consultation de la population, une conseillère le renchérit en évoquant la nécessité d’une consultation dans les urnes, un conseiller aborde les conséquences négatives d’une telle fusion (un secrétariat de mairie moins souvent ouvert, des agents communaux moins disponibles pour Lavernat). Il pousse, aussi, une sorte de cri du cœur « notre part de la forêt de Bercé ne peut être abandonnée au profit de Montval ! ».  

Éliane nous a ensuite rejoints au comptoir (Robert et moi) et, sans aucun doute, elle avait beaucoup plus à dire que Robert à propos de cet article ! Pendant une demi-heure, je l’ai écouté me raconter les coulisses de ce projet d’intégration communale. Je ne vais pas dans ce carnet de bord (dédié à la lecture de la presse locale) restituer son propos. Ce que j’ai pensé en l’écoutant, c’est que j’étais en train de faire un pas de plus dans cet agréable sentiment (que je relevais la dernière fois dans ce carnet) de pouvoir faire des liens entre les faits construits par cet hebdo local et les faits que je construisais en arpentant (hebdomadairement aussi) cette localité.

Je le réalise seulement aujourd’hui. Les « faits » qu’Éliane a construits pendant ces trois dernières années pourraient intéresser plus d’un lecteur et d’un électeur du coin. Son analyse sur la manière moyenâgeuse dont les édiles d’ici (des hommes principalement) liquident ce moment politique local est très documentée. Elle est aussi touchante, car elle repose sur son refus de faire partie des élus qui auront permis un tel déni de démocratie. En l’écoutant, je suis resté souvent sans voix. Heureusement, Éliane m’a fait rire lorsqu’elle m’a parlé de cette expression issue de son dialecte « d’éduc » qu’elle a lancée, un soir de réunion, à un « duc » du coin :

 – « il vous faut apprendre à “faire équipe” ! »

Si prompt à rabrouer la moindre remarque, l’édile est resté, alors, interloqué comme si l’expression surgissait d’un avenir lointain…

Comment faire pour socialiser de récit d’Éliane ? Je doute que le site Terragraphe soit lu par les gens du village. Avec elle et d’autres, on pourrait créer un cahier web qui pourrait recueillir les points de vue à propos de ce sujet… Le jour de la réunion publique, on pourrait faire la publicité de ce cahier villageois de « doléances » (et non, on pourrait l’espérer, de « condoléances »).

à voir…

Un peu plus en avant dans ce Petit Courrier, la page 6 propose un article sur l’intelligence artificielle. On y apprend que le magasin Leclerc de Montval s’est fait aider par une entreprise de conseil pour, notamment, gérer ses plannings. L’entreprise a été créée par trois Sarthois dont le maire d’un village situé tout à l’est du sud de la Sarthe (Saint George de Couée). Celui-ci milite pour une appropriation pragmatique et humaniste de cette technologie qui existe depuis trois décennies : « il y a toujours un humain qui commande et valide tous les choix ». J’ai apprécié.

En lisant l’article situé sur la même page, j’ai été obligé de faire un bon dans une époque bien plus lointaine que celle de la naissance de l’intelligence artificielle. L’événement rapporté par cet article a eu lieu le 29 avril dernier, mais il m’a fait songer à ce qu’a vécu mon grand-père paternel lorsque 600 agriculteurs vendéens se sont mobilisés à la Saint-Michel de l’année 1961 pour empêcher les huissiers de procéder à son expulsion en tant métayer. En ce printemps 2024, ici, à Pruillé L’Eguillé, une vente judiciaire de bovins dans une ferme a été annulée grâce à l’action d’un collectif d’une vingtaine d’agriculteurs. (L’exploitante de la ferme devait s’acquitter de 80 000 euros de charge cumulés sur ces huit dernières années alors qu’elle n’a généré durant cette période qu’un chiffre d’affaires de 40 000 euros). Les gendarmes étaient présents. Devant la pression du collectif, l’un des militaires a fini par annoncer qu’il manquait un « document » pour que la vente judiciaire ait lieu.

De pression collective, il en est aussi question dans l’Ouest-France du jeudi 2 mai dernier : une centaine de personnes ont défilé à Ecommoy contre l’installation d’un entrepôt industriel sur 24 000 m2 de terre qui auraient pu être dédiées à une activité de maraichage…

Des élus d’un village qui s’expriment contre un phagocytage administratif, des entrepreneurs qui se dressent contre la soi-disante « artificialisation » de l’intelligence. Des agriculteurs qui font « bloc » contre un redressement fiscal, des habitants d’une ville qui manifestent contre une artificialisation (bien réelle) des sols : au final, ce petit temps de lecture de la presse du coin m’a rassuré : visiblement, les faits sont là : des gens, dans ma contrée, sont tout à fait capables de se mobiliser contre des velléités d’écrasement.

Bertrand Crepeau

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