Noisetterie (1)

Samedi 25 juillet 20

« Je m’en allais au bois
Poussé par une voix
J’avais dans les dix ans
Graine de paysan »

(Thomas Fersen, Petits sabots, 2017)

Des ragondins, j’ai pensé.

Des traces de griffes sur la terre au bord du ruisseau. Je prendrai une photo. Des ragondins, j’ai pensé. Une marche avec le genou gauche à demi-enflé : pas vraiment douloureuse, mais une marche sans extravagance. Souvenir d’enfant. Un enfant qui marche en se souvenant. J’avais dans les huit ans. Je m’en allaismarcher dans les prairies du château (d’un village de l’Essonne) que nous habitions à demi. C’était le lieu de travail de mon père et c’était mon parc de marche. J’y allais avec notre chien. Je rêvais. C’était le parc qui rêvait en moi. Marche de travail. J’avais une tâche à réaliser. J’arpentais les lieux. Je suivais la rivière pour compter des bouts de bois qui flottaient sur l’eau. Je ne jouais pas toujours au foot. Dans le parc, la marche était dodelinante. Les mottes de terre étaient hautes. Est-ce à ce moment-là que j’ai exploré mes premières douleurs au genou ? Enflement complet. J’ai vu une petite boule noire au pied de la citerne de gaz qui était cachée par de grands thuyas. Surprise en la touchant. La boule s’est envolée. Une chauve-souris, j’ai compris. Mais seulement après. Pendant quelques   temps, je me suis senti dupé. Le parc n’était-il pas mon ami ? Ne devait-il pas rien me cacher ? 

Tout à l’heure, la surprise fut celle d’une petite décharge électrique. J’ai voulu remettre le fil de la clôture dans l’isolant en plastique vissé sur un poteau. J’ai utilisé avec une relative confiance une partie du testeur. Je me suis demandé si mon doigt n’avait pas touché la tige métallique. Je me suis dit aussi que je n’avais pas envie de retester. « Lâcher la prise » comme ils disent. J’ai accepté l’idée que je ne saurai jamais la cause de cette décharge électrique. J’ai donc préféré marcher. Retour à la salle de bain des enfants ; débranchement de « l ’électrificateur » puisque c’est ainsi qu’on doit le nommer. Retour à la clôture. 200 mètres à l’aller. Un peu plus au retour. J’ai suivi le chemin des ânes. Il y a peut-être des tiques dans la friche. Enfin, j’ai enfilé le fil. Ailleurs, dans deux endroits, il manquait des isolants. Sur un poteau, aucun bruit. Contre un arbre de la famille des ormes, le bruit de claquement s’entendait à 200 mètres (mais pas les mêmes que tout à l’heure). J’ai vissé un isolant sur le tronc en m’excusant auprès de l’arbre. Je lui ai dit : « je perce cette vis dans ton tronc, c’est mieux que des décharges continues ». Pas de vice, il a perçu au son de ma voix.

J’ai attaché trois pieds de tomate. Je ne les ai pas taillés. J’ai appris à le faire avec Émeric, l’employé de la ferme Rousseau. Un très bon pédagogue. J’ai adoré apprendre avec lui. J’ai oublié comment pincer les tomates et surtout pourquoi le faire. J’ai planté cinq ou six pieds, car Anne en avait trop. Je ne me suis pas beaucoup intéressé à ce qu’elles allaient donner. C’est par respect pour elles que je ne les ai pas laissées au sol. Ces pieds de tomate sont très motivés pour vivre à fond leur vie. Elles ont fleuri et des tomates commencent à se former. Je vais peut-être aimer les récolter, mais alors, l’année prochaine, je serai plus exigeant vis-à-vis de nous. Genou de ce temps. J’ai noué les liens. Sans trop marcher, j’ai compté plus de vingt-cinq potimarrons et quatre melons. Ceux-là, je les attends. J’avais envie qu’ils produisent. Et c’est en les arrosant que j’ai arrosé les tomates qui poussent au milieu d’eux. Je n’ai pas trouvé les œufs dans la botte de foin. Evrek et Léna en avaient trouvé quatre. J’ai brossé les trois ânes. Surtout les femelles. La peau du mâle est tellement abîmée que je n’ose pas. Je sais, aussi, qu’il craint que je le fasse. Il est gros, très gros ont dit les petits. C’est vrai. L’herbe de la prairie est plus sèche, ici, que dans leur Gers. Rentrés cette nuit à 1h31. Comme moi, les bêtes vont pouvoir, à présent, faire leur diète. J’ai mangé du beurre ces dix derniers jours. Je le faisais enfant. Je le fais souvent lorsque les enfants sont là. Sensation au début d’extase, puis après deux ou trois heures, mal de crâne. Au bout de trois jours, la douleur s’arrête. Le crâne renonce : les idées se confondent ou alors elles fondent comme dans du beurre.

Les pommes de terre sont cuites, je viens d’ajouter les orties. C’est bon pour drainer. Je me suis d’ailleurs piqué le genou enflé avec des jeunes feuilles. Elles ont repoussé après la tonte. Le paillage des pommes de terre avec du fumier d’âne semble avoir réussi. L’une d’elles mesurait près de vingt centimètres de long.

Quelques gouttes d’eau. Le ciel est gris, blanc et bleu. la température est plus agréable que dans le Sud. Après ce retour, ces quinze jours intenses avec les petits ; après que le foin « a été  fait », une page se tourne. C’est une nouvelle année qui commence à la Noisetterie.

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