Lave-vaisselle & apéro critique

Vendredi 07 juillet 2023

Ce fut un apéro crispant. Nos invités nous ont dit leur fierté : ils lavent leur vaisselle à la main et utilisent l’eau sale pour chasser l’eau de leur toilette. Cela aurait pu être agréable à entendre. Cela aurait pu faire l’objet d’un beau témoignage : comment on prend soin de sa domesticité, fait attention à ses choses, à ses ressources et à ses corps que l’on engage au quotidien. Cela aurait pu faire l’objet d’un vrai partage sur nos manières singulières de ravauder (puisque l’Adem dit que nous utilisons seulement 1% de l’eau du robinet pour boire, que faisons-nous des 99% restants ?)  Cela aurait pu faire l’objet d’une belle dispute sur nos pratiques et nos références plus ou moins vérifiables. Cela aurait pu être, aussi, une amusante surenchère « écolo » entre couples bobos : ce fut un apéro crispant.

Le lave-vaisselle fut l’objet d’une critique par nos invités ou plus exactement ces derniers firent une critique de l’objet technique qui eut pour cible le lave-vaisselle. Étonnant. La quiddité  technique du « lave-vaisselle » n’existe pas plus que celle du tournevis, du vélo ou de l’ordinateur. Il en existe de toutes sortes. Et pour chaque exemplaire, l’usage peut être multiple. On utilise des tournevis pour faire autre chose que « tourner des vis » et des lave-vaisselles pour faire autre chose que « laver la vaisselle ». C’est notre cas : notre machine lavante est, pour nous, d’abord une machine désinfectante  (nous participons, ainsi à notre niveau, à la création de souches pathogènes résistantes). Voilà pour l’usage singulier que nous faisons de cet objet concret installé entre notre gazinière et notre évier. Cet objet est-il d’ailleurs vraiment un objet technique concret ? Pas sûr. Inventés au milieu du dix-neuvième siècle, les lave-vaisselles n’ont pas épuisé leurs potentialités. Ils peuvent être vus comme des objets encore abstraits. Leurs concrétisations partielles les ont fait se commercialiser en tant que meubles techniques, puis en tant qu’éléments encastrés dans des cuisines élevées au rang d’être (les cuisines intégrées). Ces concrétisations partielles ont, donc, surtout visé le registre de l’esthétique. Leurs devenirs techniques restent encore à imaginer. Un simondien saurait nous dire que les lave-vaisselles n’ont pas le défaut d’être des objets « trop » techniques et qu’ils sont au contraire « mal » technique. Ce mieux technique passerait par une intégration (allagmatique) encore plus grande à de multiples réseaux. Les lave-vaisselles sont déjà reliés aux réseaux de l’électricité et de l’eau et même parfois (et pour des raisons qui m’échappent) au réseau Internet. Leurs concrétisations pourraient les faire encore plus se relier aux autres objets techniques de la maisonnée. Ils pourraient, ainsi, devenir des sortes d’interfaces entre les résistances du chauffe-eau et les réservoirs des chasses d’eau (ces deux appareillages techniques perdant, de fait, leurs essences abstraites). Je suppose que ce genre d’optatif est déjà dans les cartons.  Si ce genre de lave-vaisselle « délayé » s’intègre un de ces jours à notre maisonnée, il « trinquera » moins, je le suppose aussi, lors de nos futurs apéros entre amis …

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